Les sanctions condamnées par l’écoulement du temps (Suite)

Publié le : 07 juillet 20209 mins de lecture

Aux termes de l’article L 1332-4 « aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’une délai de 2 mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales ». Il est complété par l’article L 1332-5 disposant que « aucune sanction antérieure de plus de 3 ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction ». Le législateur n’a pas voulu que la menace de sanction pèse trop longtemps sur la tête du salarié fautif. Il a donc institué une prescription des fautes (a).

De même, il lui a semblé qu’il n’était pas bon que l’employeur puisse invoquer des sanctions anciennes afin de sanctionner plus durement un salarié ayant commis une nouvelle faute. Une amnistie des sanctions anciennes de plus de 3 ans vient limiter le pouvoir disciplinaire (b).

La prescription des fautes

Etant admis que le fait fautif est celui considéré comme tel par l’employeur, il faut distinguer deux situations. Soit il y a des poursuites pénales dans le même temps, soit il n’y en a pas.

Lorsqu’il n’y a pas de poursuites pénales: après un délai de 2 mois à compter du jour où il a eu connaissance des faits fautifs, il ne peut plus engager de poursuites disciplinaires.

Que faut-il entendre par engagement des poursuites disciplinaires ? Une circulaire de mars 1983 préconisait de retenir comme date du moment de l’engagement des poursuites, la date de convocation à l’entretien préalable. La jurisprudence a repris cette interprétation. Dans l’hypothèse où la mesure est précédée d’une mise à pied conservatoire, c’est la date du prononcé de celle-ci qui constitue l’engagement des poursuites disciplinaires.

Aucun fait à lui seul:  Cela signifie que l’employeur peut ressusciter des fautes non sanctionnées en leur temps à l’occasion d’un nouveau fait fautif commis par le salarié. Toutefois, la Cour de cassation a restreint l’impact de la formulation de l’article L 1332-4 aux hypothèses dans lesquelles le nouveau fait fautif du salarié est identique à ceux normalement atteints par la prescription. La Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui, « s’est à juste titre abstenue de prendre en considération les agissements antérieurs prescrits, qui ne procédaient pas d’un comportement fautif identique ». Cass. soc. 18 mars 1998 n° 96-40079 (P).

La connaissance des faits par l’employeur: Le délai ne court qu’à partir du jour où l’employeur a eu connaissance exacte des faits reprochés. Cass. soc. 17 février 1993 n° 88-45539 (P) et Cass. soc. 7 novembre 2006 n° 04-47683 (P). Un employeur peut par exemple suspendre toute décision disciplinaire en cas de nécessité de recourir à une enquête aux fins de découvrir l’ampleur des faits. Cass. soc. 10 juillet 2001 n° 98-46180 (P). En revanche, l’employeur est censé avoir eu connaissance des faits le jour de leur commission quand le directeur artistique de la société, supérieur hiérarchique direct de l’intéressé, était présent lors de l’incident et en avait donc eu connaissance. Cass. soc. 30 avril 1997 n° 94-41320 (P).

En tout état de cause, « lorsqu’un fait fautif a été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de ce qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement de ces poursuites ». Cass. soc. 12 octobre 1999 n° 97-42850 (P).

Le salarié a la possibilité de saisir le Conseil de Prud’hommes en référé pour obtenir l’annulation de la sanction lorsque l’employeur inflige une sanction sur des faits prescrits. Exemple pour une sanction de rétrogradation, Cass. soc. 23 novembre 1999 n° 97-43787 (P).

Lorsque le comportement fautif du salarié se poursuit, la prise en compte d’un fait antérieur de 2 mois à l’engagement des poursuites est possible. « Si, selon l’article L. 122-44 [L 1332-4] du Code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà du délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, le dernier manquement professionnel constaté, en l’espèce l’incident du 27 septembre 1990, lui permettait de retenir l’ensemble des agissements fautifs du salarié pour apprécier le caractère sérieux des faits reprochés au salarié ». Cass. soc. 3 mai 1995 n° 93-45569 « Dès lors que le fait d’absence injustifiée du salarié se perpétue malgré une mise en demeure, la circonstance que l’employeur ait attendu plus de deux mois pour mettre en œuvre cette procédure n’a pas pour effet de rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse ». Cass. soc. 13 janvier 2004 n° 01-46592 (P).

Le délai de 2 mois n’est ni interrompu, ni suspendu par un accident, qu’il soit du travail ou non, ni par une maladie professionnelle ou non. « Une procédure de licenciement, pour un motif non lié à l’accident ou à la maladie, peut être engagée au cours des périodes de suspension du contrat de travail provoquée par un accident du travail ou une maladie professionnelle ; que, dès lors, le délai de prescription de 2 mois prévu à l’article L. 122-44 [L 1332-4] du Code du travail pour engager une procédure disciplinaire n’est pas suspendu ni interrompu pendant la période de suspension du contrat de travail ». Cass. soc. 17 janvier 1996 n° 92-42031 (P).

Lorsque des poursuites pénales sont engagées dans le même délai:

Ainsi, un inspecteur du travail commet-il une erreur de droit s’il refuse l’autorisation de licenciement d’un représentant du personnel en constatant que plus de 2 mois se sont écoulés avant l’engagement de la procédure disciplinaire, alors que des poursuites pénales avaient été engagées avant l’expiration de ce délai. Conseil d’Etat 8 juin 1990. La Cour de cassation a également précisé que l’application de la prescription de l’article L 1332-4 du fait de l’introduction d’une action civile exercée devant les juridictions répressives est écartée. Lorsque le salarié fait l’objet d’une condamnation pénale, l’employeur a deux mois pour engager les poursuites. La jurisprudence a précisé la computation de ce délai. « Il résulte de ce texte (L 1332-4) que, lorsqu’un fait fautif a donné lieu à des poursuites pénales, quel que soit le mode de déclenchement de l’action publique, le délai de deux mois pour engager les poursuites disciplinaires est interrompu par la mise en mouvement de l’action publique jusqu’à la décision définitive de la juridiction pénale ». Cass. soc. 6 décembre 2000 n° 98-45772 (P) et Cass. soc. 12 janvier 1999 n° 98-40020 (P). Mais la Cour prend soin de préciser « que si l’exercice de poursuites pénales à l’encontre du salarié empêche la prescription prévue à l’article L. 122-44 [L 1332-4] du Code de travail de courir, c’est à la condition qu’elles concernent le fait reproché au salarié et susceptible de justifier contre lui une sanction disciplinaire ; que tel n’est pas le cas dans l’hypothèse où les poursuites pénales concernent une infraction commise en dehors de l’entreprise et dans le cadre de la vie personnelle du salarié, l’employeur n’entendant invoquer que l’altération portée à son image de marque par cette infraction. Cass. soc. 10 mars 1998 n° 95-42715 (P).

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La prescription des sanctions

L’employeur ne peut pas tenir compte de sanctions antérieurement prononcées plus de 3 ans avant l’engagement de poursuites disciplinaires pour s’en servir comme de circonstances aggravantes et sanctionner plus durement un nouveau fait fautif du salarié. (Art. 1332-5) Les sanctions anciennes de plus de 3 ans sont effacées du dossier disciplinaire. Juridiquement elles n’existent plus. « Si des manquements antérieurs, sanctionnés en leur temps, peuvent être retenus pour caractériser une faute grave à la suite d’un nouveau manquement professionnel, c’est à la condition que ces faits ne soient pas antérieurs de plus de 3 ans à l’engagement des nouvelles poursuites disciplinaires ». Cass. soc. 10 novembre 1992 n° 89-43108 (P).

Traditionnellement, à l’occasion de chaque élection présidentielle, le nouveau président faisait voter une loi d’amnistie dont le domaine couvrait les sanctions disciplinaires en droit du travail. Il n’en n’a pas été de même cette fois.

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